Culture

Cazette et pernettes

L’utilisation de l’objet retrouvé lors d’une fouille à Tours, dans la chapelle Saint-Libert, ne se devine pas. Aucun rapport avec la liturgie, ni avec le Moyen-Age. C’est d’un artisanat industriel dont il s’agit, qui remonte à une époque pas si lointaine...

La question est posée, non sans malice, par Samuel Riou, archéologue du Service de l’Archéologie du Département d’Indre-et-Loire (SADIL) : à quoi pouvait bien servir l’objet dont quelques beaux fragments sont posés sur la table, devant nous ? Premier indice : c’est une poterie trouée en divers endroits. Deuxième indice : elle est complétée par des supports en argile, bien à part, qui devaient combler les orifices, mais pas au point d’empêcher le ruissellement d’un liquide... Au bout de quelques minutes, la réponse est donnée par l’archéologue : il s’agit d’une « cazette », et les supports en forme de prisme s’appellent des « pernettes ». L’ensemble servait à la fabrication d’assiettes en faïence commune, en « caillou » comme on disait à Tours. « On empilait quatre ou cinq assiettes dans les cazettes, elles-mêmes installées ensuite dans un four, les unes sur les autres », explique Samuel Riou, ce qui permettait de sortir une importante production de « faïence à grand feu » (à deux cuissons). Précision : seules les pièces les plus délicates étaient mises dans ces boîtes en argile, afin de les protéger des fumées et des cendres. Mais la production d’un faïencier était évidemment plus variée : écuelles, plats, jattes et coupelles, couvercles, poêlons, cruches...

Si l’objet date du XIXe siècle, la technique était déjà décrite dans la célèbre Encyclopédie de Diderot et D’Alembert : « On extrayait de l’argile, poursuit l’archéologue, on la modelait, on la faisait cuire à très haute température, 980 °C, avant de passer les assiettes dans un bain d’émail, une solution à base d’oxydes de plomb et d’étain. On laissait sécher, puis on peignait dessus. On installait alors nos assiettes dans les cazettes que l’on mettait dans un four, à 800 °C. Pour que les pièces ne collent pas entre elles, elles étaient séparées par les pernettes. » Chose amusante, ces dernières laissaient apparaître des marques à l’envers des assiettes, que l’on peut encore voir sur les fragments de celles-ci.

En général, l’intérieur des pièces était blanc, l’extérieur d’un brun plus ou moins sombre, d’où leur surnom de « cul brun ». Un liseré agrémentait le tout, parfois un décor floral à l’intérieur. Problème : à la cuisson, le décor risquait de s’étioler. D’où l’ajout, ultérieurement, d’une troisième cuisson...

Une situation qui ne doit rien au hasard

Ce qui interpelle encore, c’est le lieu de cette découverte, le site de la chapelle Saint-Libert, à Tours, dans la partie nord-est de la ville ancienne, cadre d’une campagne de fouilles en 2013. Samuel Riou rappelle le contexte : « Il y a eu d’énormes crues en 1856, qui ont amené à la construction des quais que nous connaissons, en 1861 (à une époque où un mouvement hygiéniste imposait, par ailleurs, d’aérer la ville médiévale, de refaire les rues). Ces travaux ont obligé à remblayer certains endroits ; c’est le cas de cette chapelle, remblayée d’environ deux mètres, remblai constitué notamment de 3 m3 de déchets d’ateliers de potiers, dont des cazettes ou des assiettes – mal cuites, fracturées –­ retrouvées lors des fouilles. »

Les remblais ont forcément été apportés après 1856, et même après 1861. Les déchets datent donc du tout début des années 1860, et proviennent logiquement des environs proches, car le quartier était celui des faïenciers – une profession connue à Tours, ne serait-ce qu’à travers son plus célèbre représentant, Edouard Avisseau – après avoir été celui des bouchers et des salpêtriers. « Il y avait des ateliers, des entrepôts, des fours mis en commun. » La production était importante à l’époque, car il s’agissait, pour les ménages, de remplacer la vaisselle d’avant, en métal ou en bois.

Mais pourquoi la réunion de ces ateliers à cet endroit précis ? Parce que les vents dominants d’ouest écartaient les odeurs et les fumées... Les risques d’incendie étaient ainsi évités, tandis que la Loire et la route d’Orléans, toutes proches, permettaient d’écouler les productions.

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