Culture

Changement de civilisation à Betz-le-Château

Nous partons dans le sud de la Touraine, à Betz-le-Château, où un diagnostic archéologique a été réalisé en juillet 2011 au pied d’une motte castrale, une rareté en Touraine. L’occasion d’un rappel historique sur ce genre de construction et d’une mise en lumière de deux objets découverts sur place par les archéologues du Sadil... Grâce à eux, nous remontons jusqu’à l’an Mil, période charnière !

La motte castrale de Betz-le-Château a été construite vers la fin du Xe siècle ou le début du siècle suivant, peut-être dès les premiers mouvements d’émancipation des comtes et des princes face aux derniers rois carolingiens. Elle est sans doute l’œuvre de Gilles de Betz, toujours vivant en 1037, qui s’octroyait ainsi le contrôle de voies de communication et de la population du village, situé sur un éperon rocheux. Cette motte castrale était alors composée d’un tertre artificiel entouré par un réseau de fossés et une enceinte en terre définissant trois espaces distincts et aux fonctions différentes : le tertre, avec au sommet une tour en bois, servait de place-forte et matérialisait la haute-cour ; le deuxième espace, formant une première basse-cour, au sud de la motte, servait au stockage des denrées, comme le prouvent les silos qui ont été retrouvés ; le troisième espace, à l’ouest, deux fois plus grand que les deux autres, englobait une grande partie du village, avec l’église et le cimetière, et formait une seconde basse-cour.

La motte et la première basse-cour seront très vite délaissées par les seigneurs de Betz, qui préféreront vivre dans le village avant de se faire construire un château en pierre en contrebas de l’éperon, peut-être dès le XIe-XIIe siècle. Mais l’espace délaissé ne sera pas réoccupé. La motte surplombe encore le parking situé derrière l’église Saint-Etienne (parking dont l’aménagement, dans les années 60, a détruit un quart de la motte). Sur une vue aérienne du village, on remarque bien le site ancien, délimité par les rues Gille de Betz et... de la Motte.

Travaux des champs, travaux des villes

Deux objets ont notamment été découverts au cours d’une fouille menée en juillet 2011 sur le site : une houe, généralement utilisée pour bêcher, mais sans son manche en bois bien sûr, et un outil d’extraction ou de taille de pierre (avec un tranchant pic et un tranchant polka), tous deux mis au jour au même endroit, dans un silo, au pied de la motte castrale dont ils sont contemporains. Si la houe avait été retrouvée en pleine campagne, chacun en déduirait qu’elle avait servi aux travaux de champs. Or, c’est au cœur du village, dans la partie millénaire, que la découverte a été faite. Quant à l’outil tranchant, il n’aurait aucune utilité pour des travaux agricoles. Leur présence n’est pas le fait du hasard, elle n’est pas non plus le résultat du malencontreux oubli d’un paysan de l’an Mil. « Les silos et les fossés ont été creusés dans le calcaire, indique Samuel Riou, archéologue du Service de l’Archéologie du Département d’Indre-et-Loire (Sadil). Le produit de cette extraction a servi à créer la motte de calcaire, dans laquelle des poutres en bois ont été entrecroisées afin de la solidifier. » La motte castlebessine n’est donc pas juste un tas de terre, mais quelque chose de plus élaboré. Profitons-en pour briser une idée reçue : les mottes n’ont pas été remplacées par les châteaux de pierre ; on en édifiera jusqu’au XIVe siècle : « Elles nécessitaient moins d’argent que les châteaux en pierre, mais restaient des symboles du pouvoir seigneurial. Elles étaient le fait de petits seigneurs, sans trop de moyens financiers, mais qui avaient obtenu l’autorisation de leur suzerain de construire quelque chose de fortifié. »

Vers une nouvelle ère

Un outil a donc été employé pour l’extraction, l’autre pour tirer la matière calcaire peu à peu ajoutée à la motte en cours d’édification. Ces deux outils complémentaires, le second ayant été soustrait de son utilité première, purement agricole, ont très certainement servi au creusement des fossés de la motte, et ce sont des outils analogues qui ont aussi servi au creusement des souterrains du XIe siècle découverts sous le château par les archéologues de l’Institut national de Recherches archéologiques préventives (Inrap). En effet, on voit à cette époque non seulement se multiplier les larges fossés creusés dans le calcaire, mais aussi les souterrains et les bâtiments en pierre, grâce à des fours plus élaborés permettant de fondre des outils d’extraction et de taille de plus en plus performants. « Ces deux outils, rares, sont donc symptomatiques des changements qui s’opèrent alors, ajoute Samuel Riou. Changement politique dans la répartition des pouvoirs locaux, qui va s’accompagner d’un changement dans la façon de construire, à la fois pour mieux se protéger, mieux vivre et mieux montrer son pouvoir, qui va alors créer un réel engouement pour la pierre de taille avec la construction de nouveaux châteaux en pierre et la reconstruction de très nombreuses églises. » Dans ce système, l’outillage découvert à Betz marque les premiers soubresauts de cette nouvelle ère. Passionnant !

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