Culture

La bataille de Poitiers en 732

Elle est l’une des batailles les plus célèbres de l’Histoire de France. Jusqu’à une époque pas si lointaine, tous les écoliers connaissaient par cœur sa date, sa localisation et le nom de son vainqueur. Au même titre que « 1515, Marignan », « Charles Martel repousse les Arabes à Poitiers en 732 » était une sorte de rengaine scolaire. Un élément phare du roman français. Pourtant, cet événement si considérable reste mal connu et sujet à de nombreuses controverses, notamment sur la localisation exacte des événements… et pourquoi pas en Touraine d’ailleurs !

À Poitiers, vraiment ?

Alors où cet affrontement quasi-légendaire a-t-il eu lieu ? À Poitiers même ? Près de Tours ? Sur les Landes de Charlemagne à Ballan-Miré ? Vers Vouneuil-sur-Vienne ? Autour de Preuilly-sur-Claise ? À Cenon-sur-Vienne ? À Saint-Quentin-sur-Indrois où se trouve une opportune « Fosse Martel » ? À Sublaines près de « la Tombe des Sarrasins » ? Ailleurs ? Pas moins de 38 emplacements revendiquent le titre de champ de bataille de Poitiers !

Il est vrai que de la vallée du Clain à celle de la Loire, de la grande voie romaine de Tours à Poitiers aux alentours de Sainte-Maure-de-Touraine (après tout, dans le nom même de la sainte éponyme, ne retrouve-t-on pas une référence aux Maures d’Al Andalus ?), les sites favorables sont innombrables : partout les vastes ondulations de cette campagne paisible, sans autres obstacles que quelques massifs forestiers et autres rivières guéables, se prêtent sans problème au choc de deux armées.

Quant à la bataille proprement dite, comment s’est-elle déroulée exactement ? S’agit-il d’une seule mêlée décisive, ou bien d’une suite de combats plus ou moins coordonnés et simultanés, sur une plus vaste surface ? Les zones d’ombre sont encore nombreuses. Elles le sont d’autant plus que les sources sont très lacunaires et que les traces archéologiques sont peu probantes. Mais que sait-on au juste ?

Ce que l’on sait

En 711, poursuivant leur expansion commencée avec l’Hégire de Mahomet (622), les Arabes ont débarqué en Espagne, détruisant dans la foulée le royaume des Wisigoths. Puis, remontant vers le nord, ils ont franchi les Pyrénées pour se heurter au duc d’Aquitaine et de Vasconie, Eudes, qui les a battus une première fois en 721.

Dix ans plus tard, le gouverneur d’Al Andalus, Abd ar-Raḥmān, lance une nouvelle campagne. Après avoir atteint Bordeaux, il bat Eudes et progresse vers Poitiers. Tandis que ses troupes pillent les sanctuaires de la cité poitevine, Eudes, rallie l’armée franco-burgonde de Charles Martel auquel il a fait allégeance. Une fois leurs forces rassemblées, les Francs peuvent affronter les Arabes, quelque part entre Poitiers et Tours, en octobre 732 (ou 733…). Affronter les Arabes ? Non, pas exactement, car l’armée d’Abd ar-Raḥmān est surtout composée de Berbères d’Afrique du Nord, renforcés de quelques contingents ibériques. Toujours est-il que le choc est violent et qu’il se solde par le repli précipité des envahisseurs.

En fait d’invasion, l’opération musulmane était plutôt une razzia de grande ampleur, dont l’objectif suivant était le pillage de la fameuse (et riche) abbaye de Saint-Martin de Tours. Pendant les combats, encombrée par l’imposant butin accumulé de Bordeaux à Poitiers, l’armée d’Al Andalus manque de répondant face à la détermination franque, d’autant que la prise de son camp par Eudes la place dans une situation délicate.

Un envahisseur pas vraiment bouté

Comme pour l’ensemble du sujet, le déroulement détaillé de la bataille elle-même est mal connu. Certains parlent d’un mur infranchissable dressé par la cavalerie franque, tandis que d’autres affirment que l’armée franque ne possédait pas de cavalerie et qu’au contraire, ce sont les vagues de cavaliers arabes qui sont venues se briser contre les rangs de l’infanterie de Charles… Quoi qu’il en soit, l’issue est connue. Sévèrement battu, Abd ar-Raḥmān reflue. Lui-même, selon certaines sources, aurait trouvé la mort dans la mêlée (d’autres affirment qu’il se serait replié sain et sauf sur la Septimanie…).

La pénétration musulmane par les Pyrénées est définitivement stoppée, mais il est faux de prétendre qu’à Poitiers Charles Martel aurait « bouté » les Arabes hors de Gaule. Ils sont encore, et pour de longues années, solidement implantés dans la région de Narbonne, en Provence et dans l’actuel Roussillon. En fait, cette victoire sert surtout les intérêts de Charles Martel. Celui-ci, qui avait gagné son surnom (« le Marteau ») en écrasant sans pitié les grands seigneurs récalcitrants, s’affirme comme l’homme fort du royaume et comme une alternative au pouvoir déclinant des rois mérovingiens. La porte est ouverte à l’installation d’une nouvelle dynastie dont le propre fils de Charles, Pépin le Bref, sera le créateur en 751 : les Carolingiens.

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