Culture

La ligne de démarcation à Descartes

Il y a 80 ans, la France était coupée en deux. D’un côté de cette frontière décidée par l’Allemagne, la zone occupée ; de l’autre, la zone dite libre. Notre département lui-même était divisé : la ligne de démarcation suivait le Cher dans un premier temps, avant de piquer au sud. À Descartes, un monument rappelle cette période restée dans la mémoire des anciens et dans les écrits.

Villa Perdita

Le 25 juin 1940, l’armistice demandé par Philippe Pétain entrait en vigueur. Quelques jours plus tard, la Touraine, très durement touchée par les bombardements, se retrouvait coupée en deux par une ligne dite « de démarcation ». Pourquoi cette séparation ? En fait, les Allemands auraient pu occuper toute la France, mais comme ils voulaient tourner leurs canons vers l’Angleterre, qui, elle, continuait le combat, ils décidèrent de ne pas gaspiller leur logistique pour garder des forces.
La France, donc, était séparée : une zone occupée d’un côté, une zone libre de l’autre. Le tracé arrivait de la Suisse et, chez nous, suivait le Cher jusqu’à Bléré, avant de piquer brutalement vers le sud, laissant la façade Atlantique sous occupation allemande.

Quelles différences entre les deux zones ?

Vivre en zone occupée obligeait à vivre au contact des Allemands, à voir les drapeaux nazis, les emblèmes, les guérites, les barrières, les soldats. En zone libre, il n’y avait pas d’Allemands, mais les habitants étaient placés sous le régime autoritaire de Vichy. C’est pourquoi l’historien tourangeau Eric Alary, spécialiste de cette période, parle de « zone non-occupée ». La liberté est une notion relative ; ainsi, le régime de Vichy fut demandeur d’une législation antisémite dès octobre 1940. Mais il allait faciliter cependant le passage des prisonniers de guerre évadés...

Franchir la ligne pour se rendre d’un point à un autre n’avait rien d’une formalité. Un habitant de Tours, par exemple, ne pouvait plus rejoindre Loches aussi facilement qu’avant. Pour passer la frontière, il fallait obligatoirement posséder un Ausweis, compliqué à obtenir (sauf pour les personnes qui vivaient sur la ligne ou sur une bande de 10 kilomètres de part et d’autre). Des familles ne se voyaient plus, des commerçants, empêchés de faire des affaires, mettaient la clé sous la porte, des enfants devaient changer d’école.

Hommage aux passeurs

À Descartes, un monument rappelle cette période. Il est situé à la sortie de la ville, en direction du sud, sur le bord de la D 750. On peut y lire cette phrase : « Ici, du 15 décembre 1940 (ndlr : et non pas en juin, car entre temps, la ligne fut déplacée vers le nord) au 11 novembre 1942, la ligne de démarcation coupait la France en deux. Hommage à ceux qui ont su la forcer. » Le terme « forcer » n’est pas trop fort. Si, dans un premier temps, les troupes de la Wehrmacht n’avaient pas montré un zèle extraordinaire dans les contrôles, le printemps 1941 vit le remplacement des soldats par des douaniers, des professionnels, arrivés avec des chiens dressés. Dès lors, poursuites et coups de feu ne furent plus une exception...

Hommage donc à celles et ceux qui ont su forcer la ligne, et à celles et ceux qui les ont aidés au péril de leur liberté, et même de leur vie : les passeurs, qui ouvraient le chemin de la liberté aux prisonniers de guerre évadés, aux aviateurs alliés qui avaient perdu leur appareil, aux Juifs pourchassés. Citons Pierre Renard, André Goupille, son épouse, leurs quatre enfants et leurs proches, Odette Métais, ou encore Lucien Marchelidon, tous membres du même réseau.

« À La Haye-Descartes, c’était facile »

Dans ses mémoires (Mon village sous la botte), André Goupille écrit : « Les candidats au passage arrivaient simplement pour avoir entendu dire qu’à La Haye-Descartes, c’était facile. Parce que quel­qu’un de connaissance était passé par là et qu’un car arrivait jus­qu’à la frontière. Échouant dans les hôtels ou les cafés, ils avaient vite fait de trouver un passeur qui n’attendait que l’occasion de s’employer. Parmi les passeurs, il y avait ceux qui imposaient un tarif et qui, par exemple, ne passaient pas une lettre si elle n’était pas accom­pagnée d’un billet de 5 francs. Il y eut ceux, peu nombreux il faut le reconnaître, qui firent payer très cher à des Juifs un passage qu’ils décrivaient difficile et dangereux. Enfin, il y eut quelques-uns qui n’acceptaient rien de ceux qu’ils avaient aidés. »

Le 11 novembre 1942, en réaction au débarquement allié en Afrique du Nord, la zone libre fut envahie. Dès lors, la ligne de démarcation n’avait plus lieu d’être ; elle fut définitivement supprimée en février 1943.

Franchissement insolite

L’instauration de la ligne de démarcation plaça Abilly en zone libre et la Haye-Descartes (ainsi nommée jusqu’en 1967) en zone occupée. La ligne passait au lieu-dit Ribault, à l’embranchement des routes vers Neuilly-le-Brignon et Abilly.

Au-delà de la situation, dramatique, il y eut quelques faits cocasses. Ainsi, rappelle Odile Ménard dans Descartes et son canton (éditions Sutton), la ligne passait derrière un terrain de football, plus précisément derrière une cabane en bois qui servait de vestiaire, au-delà du ruisseau du Ribault. Il suffisait au candidat à la liberté de se faire footballeur puis d’entrer, à la fin du match, au vestiaire avec sa supposée équipe. La porte, ouvrant sur l’extérieur, masquait celui qui sortait, qui n’avait qu’à s’élancer pour franchir le ruisseau et entrer ainsi en zone libre. Le stratagème finit par être découvert, mais nombreux sont ceux qui réussirent leur projet !

 

Photo : Odile Ménard

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