Culture

Anatole France et la Touraine

C'est au cimetière ancien de Neuilly-sur-Seine qu'il fut inhumé, mais c'est à Saint-Cyr-sur-Loire, que souhaitait reposer Anatole France. Il s'y était installé en 1914, en partie parce qu'il fut séduit par l'endroit, visité quelques mois auparavant, mais aussi par prudence, redoutant que l'armée allemande ne réussisse à prendre Paris. C'est sur la Béchellerie – construite au début du 17e siècle par un certain Beschel- qu'il avait jeté son dévolu.

De Dreyfus au pacifisme

Né le 16 avril 1844 à Paris, d'un père analphabète devenu libraire, Anatole France grandit parmi les livres, en particulier ceux traitant de la Révolution française. Au cours de sa scolarité, passée dans des établissements catholiques, il brille en composition. Plus tard, il travaille dans des librairies et, au milieu des années 1860, compose des poèmes en amoureux éconduit. Suivront quelques productions qu'il réalise dans le cadre du mouvement parnassien et, en 1881 paraît son premier roman, « Le crime de Sylvestre Bonnard », récompensé par l'académie française, au sein de laquelle il sera élu en 1896. Anatole France met sa reconnaissance et sa renommée au service de grandes causes, en s'élevant contre le génocide arménien. D'abord hésitant sur le parti à prendre dans l'affaire Dreyfus, il signe finalement la pétition des intellectuels en faveur du capitaine, après la parution du "J'accuse" de Zola. Anatole France prendra également la défense de l'écrivain à son procès, et rendra sa légion d'honneur en signe de protestation après que Zola se soit vu retirer la sienne. En 1898, il collabore à la création de la Ligue des droits de l'homme et, devenu proche de Jaurès, soutient le Parti socialiste. Il sera partisan de la séparation de l’Église et de l’État et défendra les droits syndicaux. Une vision du monde qui, toutefois, se teinte de scepticisme et de prudence, objets de ses romans tels que « Les Dieux ont soif » et « L'Île des pingouins », et qui lui vaudront d'être exclu des publications communistes. Auparavant, à la déclaration de guerre, il s'était laissé emmener par le patriotisme ambiant, mais il dénoncera ensuite le conflit, et, évoquant dans une lettre un ouvrage de Michel Corday, il aura cette formule qui deviendra célèbre : « On croit mourir pour sa patrie, on meurt pour des industriels ».

A La Béchellerie

C'est au début du conflit qu'Anatole France s'installa à la Béchellerie qu'il restaura et dont il agrandit le domaine. Il s'y maria en secondes noces en 1920 avec Emma Laprévote, et allait y passer l'essentiel de son temps jusqu'à sa mort. Ici, au milieu d'une collection d'œuvres d'art, il reçoit la visite de ses amis et d'admirateurs locaux, de parisiens réfugiés, et même d'officiers américains cantonnés à Tours, curieux de voir de près cette personnalité. Affable et bienveillant, l'écrivain se prête volontiers au jeu et s'en amuse, faisant preuve d'indulgence avec les photographes indésirables. L'anticlérical se montre même généreux avec la bonne sœur qui vient régulièrement le solliciter pour ses œuvres. Courteline, que France apprécie beaucoup, est également familier des lieux. L'écrivain parcourt la Touraine, à bord de sa Panhard-Levassor et fréquente les librairies de Tours, comme les terrasses des cafés, et les restaurants. En octobre 1924, quand la mort l'emporte, on transfère son corps à la Villa Saïd, sa propriété parisienne du 16e arrondissement, où il sera exposé. Edouard Herriot, président du Conseil et Gaston Doumergue, président de la République, lui rendront une dernière visite, conférant pour ainsi dire à cet hommage la valeur d'obsèques nationales, pour celui qui, pourtant, s'était opposé à tout cérémonial.

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