Culture

De la cuisine à la tombe : l’étonnante destinée d’un pot à encens

Le recyclage ne date pas d’aujourd’hui ! Ainsi, le pot funéraire médiéval trouvé par les archéologues du Département a eu une vie avant d’accompagner les morts dans leur dernière demeure...

Conçu en céramique, le pot à encens que nous présente Mathieu Gaultier, chef du Service de l’Archéologie du Département d’Indre-et-Loire (Sadil), se trouvait en premier lieu, comme les autres pots de ce genre, dans une cuisine médiévale. La destination de cet objet ? Réchauffer les aliments sur le feu. Mais, passée cette première vie, ce contenant a servi à autre chose : après modification – des trous ont été percés dans la panse –, il a été réutilisé lors d’une cérémonie funéraire. « On ne fabriquait pas de pots exprès, on en récupérait, qui étaient un peu abîmés, ou dont on souhaitait se débarrasser. Durant la cérémonie, le pot était rempli de charbon de bois puis, par-dessus, d’encens qui brûlait au moment de l’enterrement de la personne, depuis l’église jusqu’au cimetière. » Comme un encensoir, en quelque sorte... Plusieurs pouvaient être disposés autour du même catafalque.

Les pots funéraires étaient déposés avec le corps dans la sépulture, une pratique attestée en Touraine du XIe au XVIIe siècle. Étaient-ils rares ? « Cela dépend des époques, répond Mathieu Gaultier. Ils sont plutôt rares au début du Moyen-Âge, jusqu’au XIIIe siècle, mais sont retrouvés plus fréquemment dans les tombes ensuite. De plus, à partir du XVe siècle et jusqu’au XVIIe, ils ne sont plus percés. Peut-être ne servaient-ils alors qu’à recueillir de l’eau bénite... »

Découvert au prieuré Saint-Cosme

Celui que montre M. Gaultier date des XIIe-XIIIe siècles. On peut remarquer des traces de combustion à l’intérieur, et autour plusieurs points verts. « De la décoration », assure l’archéologue. Les céramiques de cette époque, façonnées par des potiers habiles, au savoir-faire sûr, maîtrisant parfaitement leur tour, étaient décorées avec de la glaçure. « On ne voit là que quelques points. Parfois, toute la surface, intérieure ou extérieure (ou même les deux), est recouverte d’un mélange liquide de silice et d’oxyde métallique. C’est au moment de la cuisson que la glaçure se teint et prend un aspect brillant. Le type d’oxyde métallique déterminera la teinte. En l’occurrence, le vert ici provient d’oxyde de cuivre. »

Cet étonnant objet a été retrouvé au prieuré Saint-Cosme, où près de 450 sépultures de chanoines et de laïcs qui vivaient au prieuré ou aux alentours ont été fouillées lors d’un spectaculaire chantier qui s’est tenu, en plusieurs opérations, entre 2009 et 2015. « Nous avons mis au jour une soixantaine de pots funéraires. Chaque tombe n’en possédait donc pas, loin de là. Il y en avait sans doute durant les cérémonies, mais ils n’étaient pas forcément déposés avec les morts. » C’est dans les espaces « privilégiés », proches de l’église, que les archéologues en ont découvert le plus.

On peut imaginer que cette pratique était réservée aux défunts les plus élevés dans la hiérarchie, ou les plus aisés. « Sachant toutefois, précise Mathieu Gaultier, qu’au Moyen-Âge, la richesse ne s’exprimait pas à travers les dépôts d’objets personnels. Il était très mal vu de partir avec des bijoux par exemple », ce qui se faisait encore au temps des Mérovingiens ou des Carolingiens au nord de la France. Le signe de richesse se devine plutôt au soin apporté à la fabrication du contenant du corps (coffrage en pierre par exemple), ou à sa position dans le cimetière et à la présence de plusieurs pots funéraires. Des objets que l’on peut voir en Touraine, dans les vitrines d’exposition du prieuré Saint-Cosme.

Légende Horae_ad_usum_Parisiensem_ou_[...]Jean_Le_btv : Enluminure extraite du livre d’heures Les Petites Heures de Jean de Berry qui représente une cérémonie funéraire et sur laquelle on voit, au pied du catafalque, trois pots à encens. On voit que les pots, comme ceux que l’on trouve lors de fouilles archéologiques, sont percés de petits trous pour laisser s’échapper les fumées de l’encens en train de brûler. (© Gallica)

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