Culture

Eugène Bizeau, le poète vigneron centenaire

« Je suis devenu anarchiste, parce que cette société ne me convenait pas, elle était trop injuste… ». C’est ainsi que se décrit Eugène Bizeau (1883 – 1989) dans Verrues Sociales en 1914. Libertaire et anticlérical, Bizeau met sa plume au service de ses idées politiques. Sa poésie sociale et pacifiste fera les belles heures de la « Muse Rouge », un groupe révolutionnaire qui le dépeint comme « l’un des meilleurs poètes-chansonniers » de son temps. Rencontre avec un tourangeau engagé, dont les vers résonnent encore sur le coteau Véretzois.

L’anarchiste précoce

Né à Véretz en 1883, Eugène Bizeau grandit dans une famille de vignerons. Ses parents, mariés civilement, feront le choix de ne pas baptiser leurs enfants, ce qui vaudra à la fratrie de nombreuses railleries et menaces. Dès son plus jeune âge, Eugène (né Max) parcourt la bibliothèque familiale et lit Blanqui, Proudhon, Renan et les recueils de chansons de Béranger. Des ouvrages républicains transmis par son grand-père, engagé dans la « Marianne », une société secrète opposée à Louis-Napoléon Bonaparte. Cet héritage familial le conduit à composer son premier poème vers 8 ans et à affirmer très tôt ses convictions politiques.

À l’âge de 13 ans, son certificat d’études en poche, Bizeau quitte l’école pour travailler. D’abord jardinier, il devient ensuite casseur de pierre, puis apprenti vigneron. Confronté à la misère du monde paysan, il s’intéresse à l’actualité et découvre les journaux anarchistes qui circulent de mains en mains. À 14 ans, il s’abonne au Libertaire de Louise Michel et Sébastien Faure (dont il suit les conférences à Tours) et au Père peinard d'Emile Pouget. Face à une société qu’il qualifie d’injuste, Bizeau comprend bien vite l’importance de la poésie, mais surtout de la chanson dont on garde le refrain en tête, pour faire circuler ses idées dans les milieux ouvriers.

Écrire pour la paix et la justice sociale

Installé comme vigneron dans sa Touraine natale, Bizeau compose des sonnets pour « L’anarchie » en 1907 et collabore à de nombreuses autres revues. Trois ans plus tard, il rejoint la « Muse Rouge », un groupe de poètes et chansonniers révolutionnaires. Chaque mois, il participe à Paris aux « goguettes » qui rassemblent les libres-penseurs du collectif, dont Gaston Couté, qui partage avec Bizeau le même rejet du système social de son époque. Dans les années 1910, Bizeau publie deux recueils de poèmes : Balbutiements et Verrues Sociales.

En octobre 1914, celui qui vivra centenaire est réformé pour cause de « faiblesse de constitution ». Les horreurs de la Grande Guerre lui inspirent des poèmes pacifistes et antimilitaristes qu’il diffuse dans de nombreux journaux, notamment dans Ce qu'il faut dire de Sébastien Faure. Lors de l’une de ces collaborations, Bizeau rencontre celle qui deviendra sa femme, Anne, une institutrice syndicaliste et féministe, qui partage ses convictions libertaires. En 1916, Eugène épouse Anne et s’installe avec elle en Auvergne, où il travaille comme jardinier et agriculteur. Ensemble, ils ont deux enfants : Max et Claire. Depuis Massiac dans le Cantal, Bizeau continue de collaborer à de nombreuses publications anarchistes, dont Le Libertaire, mais écrit également des poèmes plus tendres, sur l’amour et le bonheur.

Le « rimailleur » de Touraine

En 1944, Eugène Bizeau retourne s’installer dans sa commune natale, Véretz, qui connut les dernières années d’un autre grand homme de lettres : Paul-Louis Courier. Le sort voulut que la grand-mère d’Eugène Bizeau fut la dernière à croiser vivant le pamphlétaire assassiné en 1825. Les œuvres de Courier ont marqué le jeune Bizeau, fervent défenseur comme lui de « ceux que la terre fait vivre ». Cet amour de la campagne et de son terroir le conduit à reprendre son ancien métier de vigneron, auquel il se consacre jusqu’à l’âge de 90 ans. L’année suivante, inconsolable, il dit au revoir à sa femme Anne, qui s’éteint après 56 ans de mariage.

En 1980, à l’aube de son centenaire, Bizeau participe au court métrage Écoutez Bizeau réalisé par Bernard Baissat (ci-dessous). On l’y découvre rieur, malicieux, prompt à parler de ses convictions et à déclamer ses vers. Dans sa maison de Véretz, Bizeau reçoit régulièrement ses camarades poètes et ses amis, dont le dessinateur Cabu. Leurs échanges feront l’objet de caricatures publiées dans les journaux satiriques Hara Kiri et Le Canard Enchainé, dont le poète était un fervent lecteur. En 1989, quelques jours avant son 106e anniversaire, Eugène Bizeau s’éteint à Tours. Il laissera derrière lui de nombreux recueils engagés, et le souvenir d’un homme libre, attaché à la paix, à la démocratie et à la nécessité d’améliorer la condition humaine.

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Crédit photo : Mairie de Véretz

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