Culture

La faïence de Langeais : des blancs au platine ou bleu et or

Le long des levées de la Loire, alors que les coteaux ont offert aux châteaux et demeures le tuffeau extrait des caves où les vins s’abonnissent* avec le temps, les varennes nourricières fournissent çà et là des marnes et des argiles …pour le gîte et le couvert. Nombre de tuileries et briqueteries ont en effet émaillé les bords de Loire depuis des siècles, tandis que des artisans potiers et des faïenceries essaimaient à partir du XVIe siècle de Nevers à Tours, en passant par La Charité-sur-Loire, Gien, Blois, Chaumont-sur-Loire, Ste-Radegonde ou encore Langeais.

A Langeais et aux alentours, le travail de l’argile se serait développé depuis au moins le XVIIe s. Mais c’est avec l’arrivée d’un Angevin en 1839 que la faïence de Langeais doit son essor et sa notoriété. La ville compte alors environ 3000 âmes quand Charles Heard de Boissimon s’y installe. Il y a des attaches familiales et les métiers de la terre ne lui sont pas inconnus. Son père a détenu une fabrique de carreaux et tuiles en Anjou et a, par la suite, été en relation avec un personnage important, Alexandre Brongniart, le directeur de la manufacture de Sèvres.

La réputation des argiles de Langeais

Comme d’autres de ses contemporains, Charles de Boissimon démarre sa fabrique en tirant parti des argiles locales pour proposer des carreaux de faïence, des briques traditionnelles et des produits réfractaires que les terres à haute teneur en silice permettent. Ceci répond à une demande croissante d’une industrie en plein essor (sidérurgie, chimie, etc.) et aux besoins des boulangers, verriers et céramistes.

Rapidement, Charles de Boissimon va élargir sa production aux pièces utilitaires et artistiques en faïence fine grâce à la plasticité exceptionnelle des argiles travaillées auxquelles sont adjoints des silex chauffés et broyés. En 1835 déjà, un dénommé Dieudonné Gerberon avait demandé l’autorisation d’ouvrir une fabrique de « fayence » dont la production nous reste inconnue. La manufacture « Ch. de Boissimon & Cie » va rapidement connaître le succès avec ses vases blanc ivoire, coupes, lampes et services à café parcourus de décors inspirés de la nature (pampres de vignes, lierre ou chêne) ou de pots à tabac et porte-pipes de toutes sortes à l’imitation de troncs noueux. La manufacture croît rapidement passant de quelques ouvriers à une soixantaine en 1846 et à plus d’une centaine après 1860. Elle est également primée lors de différentes expositions.

Ce registre décoratif en vogue sous Louis-Philippe et Napoléon III va également être appliqué aux corbeilles, lustres et autres cache-pots ajourés et tressés à la façon des vanneries d’osier. Un modelé qui distinguera la production langeaisienne et la fera reconnaître à tout autre …d’autant plus rehaussée de platine.

L’exceptionnel usage du platine

Découvert en Amérique du sud, le platine est bien moins onéreux que l’argent ou l’or quand Charles de Boissimon dépose un brevet en 1862 pour « impressions d’or et de platine sur matières vitrifiables ». C’est à cette période que sont produits les pièces les plus caractéristiques de la faïencerie au charme aujourd’hui un peu kitsch, mais relevant d’un véritable tour de force. Plus rarement, certaines pièces sont rehaussées à l’or, tandis qu’existent des Langeais polychromes, des modèles « pâte sur pâte » (application de pâtes colorées sur un fond uniforme) donnant des Langeais marrons chocolat ou ocre duquel se détache le décor en brun, beige ou terre de Sienne, de rares objets réalisés avec des terres mélangées façon « berlingot » ou encore des faïences à décor peint, imprimé ou à décalcomanies appliquées.

La manufacture produit également des grès et des pots à rillettes de Tours, moutarde ou pâté d’alouette… mais aussi des pièces moins prestigieuses, notamment les Langeais dit de foire (pots à épices, pièces de second choix, etc.) qui offre cependant des débouchés nombreux.

Un nouveau débouché : le bibelot touristique

Le goût changeant, le tressage des Langeais s’affine et de nombreuses pièces moulées se parent de décor héraldique or (hermine, salamandre, cygne au cœur navré, lys…) sur fond vert Empire et plus encore émaillé d’un bleu intense inspiré du bleu de Sèvres. Ces objets seront rapportés en guise de souvenirs par les premiers riches touristes découvrant la Vallée de la Loire et ses châteaux, balbutiement des bibelots touristiques qui feront florès avec le tourisme de masse.

Cette période coïncide avec la disparition en 1879 de l’estimé Charles de Boissimon auquel succède son fils Raoul, lui-même emporté par la tuberculose dix ans plus tard. La gestion de sa veuve, Joséphine Salmon de Maison Rouge est à souligner jusqu’à la cession de la faïencerie en 1909 aux Dargouge et Granboulan qui feront perdurer la faïence fine, notamment les bleus de Langeais, jusqu’en 1914. L’effort de guerre orientera alors la production vers les seuls produits réfractaires …poursuivis jusque dans les années 1980.

Langeais n’en a heureusement pas fini avec la céramique puisqu’elle accueille chaque troisième week-end du mois d’août, un grand marché de potiers : les Céramicales de Langeais. Et la célèbre terre extraite à La Rouchouze est encore exploitée par les frères Caballero, Patrick et Bruno. Quant aux Langeais du XIXe s., si leur souvenir reste vif chez les collectionneurs et connaisseurs de céramiques, ils commencent aussi à raviver les appartements devenus trop standardisés de quelques amateurs de décoration d’intérieur.

(* : s’améliorent)

 

Photos : Christophe Bonhomme Lhéritier

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