Culture

La pierre magique

Retrouvée en 2021 à Sorigny lors d’un diagnostic archéologique dirigé par Pierre Papin, du Service d’Archéologie du Département de l’Indre-et-Loire (Sadil), cette petite hache polie conçue par les hommes du Néolithique a été remployée par la suite de manière inattendue, comme une sorte de talisman, un objet protecteur destiné à éloigner la foudre de la maison où il était conservé.

(Presque) pas d’égratignure, (presque) pas d’éraflure ; la surface de cette petite hache polie en roche verte est remarquablement lisse, son tranchant d’une précision telle qu’on le croirait fignolé au laser. C’est, évidemment, plutôt après de longues, très longues séances d’abrasion manuelle, à l’aide de sable, sur des polissoirs, que les hommes du Néolithique* – 6 000 à 2 500 ans avant notre ère – ont pu atteindre ce degré de perfection qu’il nous est possible d’admirer aujourd’hui. Mais si cet objet a traversé les siècles, les millénaires, dans un tel état de conservation (si ce n’est qu’il a perdu son manche), c’est bien parce qu’il a été réemployé après sa « première vie ». Abandonnée dans un champ, cette hache, à portée de coups de charrue, aurait fini par être grandement abimée. Ce n’est pas le cas. Pourquoi ?

Éloigner le malheur

« On retrouve souvent ces haches, seules ou regroupées, de différentes tailles, sur des sites gallo-romains, expose Céline Landreau, archéologue au Sadil. C’est ce que l’on a appelé jusqu’au XIXe siècle des pierres de foudre. Récoltées depuis l’Antiquité, collectionnées, elles étaient placées sur le linteau des portes, ou en dépôt de fondation**, comme c’est le cas de cette hache retrouvée sur le site d’une villa gallo-romaine à Sorigny. » Dans quel but ? Éloigner les orages, la foudre, plus généralement les mauvais sorts, un peu comme les fers à cheval. Sous l’Antiquité, jusqu’au Moyen-Âge, certaines personnes les portaient autour de leur cou, ou dans leurs poches, comme des talismans.

Coup de foudre

Ces objets – haches polies, mais aussi pointes de flèche en silex, fossiles, pyrite de fer –, déjà décrits par Pline l’Ancien (23-79 après J.-C.), sont appelés par les scientifiques jusqu’au XVIIIe s. des « céraunies » (du grec keraunos, foudre). S’ils étaient utilisés, dans un second temps, pour éloigner la foudre, on pensait aussi qu’ils étaient apportés sur terre par le même phénomène météorologique. « Les gens allaient les chercher aux points d’impact, et finissaient généralement par en trouver. Ils croyaient qu’elles étaient polies, façonnées par la foudre. » Ce n’est que beaucoup plus tard que l’on connaîtra la véritable histoire de ces objets, leur première raison d’être.

Notre hache de Sorigny, polie au Néolithique, a donc été trouvée par un Gallo-romain avant d’être pourvue par son nouveau propriétaire de facultés magiques... Avec succès ? Nul ne le sait. En tout cas, il ne lui coûtait rien d’essayer !

 

*Terme qui signifie « l’âge de la nouvelle pierre », autrement dit de la pierre polie, qui succède à « l’âge de la pierre ancienne » ou Paléolithique.

**Il s’agit d’un rituel, comme une cérémonie de pose de la première pierre.

 

Photo : © Landreau Céline, Service de l’archéologie du département d’Indre-et-Loire

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