Culture

Miroir, mon beau miroir

C’est une étonnante découverte qui a été faite récemment à proximité de Bléré : un miroir monétaire romain. Plus qu’une rareté, une exception en Touraine. Mais comment cet objet, sur lequel plane l’ombre de l’empereur Néron, a-t-il pu arriver jusqu’ici ?

L’été dernier, les archéologues du Service de l'Archéologie du Département d'Indre-et-Loire (Sadil), en collaboration avec ceux de l’Institut national de Recherches archéologiques préventives (Inrap), ont mené des fouilles sur la Zac de Sublaines Bois-Gaulpied, près de Bléré. Ce qu’ils ont trouvé les a entraînés loin dans le temps, à l’époque des Gallo-romains. « Nous avons fouillé une surface d’1,6 hectare, sur un site qui date du premier siècle et du début du deuxième siècle de notre ère, explique Jean-Marie Laruaz, spécialiste de la période gauloise et antique. Il nous livre presque intégralement une ferme de cette époque. » Plus précisément, ce site a été occupé sur une courte période, entre 50 et 120 après J.-C. Ce qui n’est pas fréquent et en fait tout l’intérêt, car il n’a pas été remanié par la suite. Il n’a pas non plus été coupé par une route ou par une infrastructure quelconque. Les archéologues ont donc pu comprendre comment a fonctionné cette ferme, propriété d’une famille assez aisée, comme en témoignent les nombreux fragments de poteries, de vaisselle en verre, des indices de vaisselle métallique.

Bienvenue à la ferme

Nous savons qu’une partie de la propriété était réservée à la résidence. « Elle était entourée de fossés larges et profonds, une caractéristique héritée de la période gauloise, poursuit Jean-Marie Laruaz. Cela permettait d’éviter les intrusions d’animaux sauvages, d’individus, mais aussi, pour les propriétaires les plus riches, de monumentaliser la partie résidentielle. » Ces fossés étaient probablement doublés de talus, qui ont été arasés au cours du temps.

Au centre de cette partie résidentielle, une cave a été découverte, appartenant à un bâtiment qui, lui, n’a pas laissé de traces, les matériaux employés alors étant périssables. Pas de traces... sauf cette cave enterrée, construite en pierre sèche.

Nous savons aussi, grâce aux recherches sur place, qu’une seconde partie, plus vaste, était dédiée aux activités agricoles. Les fossés qui l’entouraient étaient plus réduits, elle comprenait différents bâtiments – écurie, étable – ainsi qu’un puits, profond de 15 mètres, avec un parement en pierre, au fond duquel une équipe spécialisée de l’Inrap, la Cellule d'Intervention sur les Structures archéologiques profondes (Cisap), a trouvé les différents morceaux d’un seau. Dans cette portion agricole, une seconde cave, maçonnée celle-ci, avec des pierres assemblées au mortier, a été découverte, « proche cependant de la résidence, et donc peut-être liée à la gestion des affaires courantes de la famille ». C’est à cet endroit qu’a été mis au jour un objet rarissime sous nos latitudes...

Néron parle aux soldats

Il s’agit d’un miroir monétaire romain, objet en alliage cuivreux, qui pose clairement la question du statut du propriétaire de l’établissement. C’est la partie supérieure qui a été trouvée, sur laquelle, sur le recto, on distingue – du moins, les spécialistes distinguent ! – différents personnages, dont un plus élevé que les autres qui s’adresse à des soldats (scène dite de l’ad locutio). Au verso, un miroir, en métal poli. L’autre partie formait avec la première une sorte de boîtier réservé à du soin, du cosmétique, à conserver du fard par exemple. « La partie supérieure imite des monnaies émises par l’empereur Néron, donc nous connaissons précisément l’époque – à partir de 64 de notre ère », ajoute Jean-Marie Laruaz. Ces objets participent d’un culte de la personnalité spécifique à cet empereur, souvent qualifié de mégalomane. Plus intrigant : généralement, ces miroirs monétaires, connus à quelques unités seulement autour du bassin méditerranéen (Egypte, Syrie, Bulgarie...), en Angleterre et le long de l’ancienne frontière de l’Empire avec la Germanie, sont retrouvés dans des contextes militaires (tombes de soldats, camps). Ils auraient en effet été offerts à des personnages, militaires ou administrateurs, ayant occupé des fonctions importantes dans l’Empire, pour les remercier de services. Mais alors, que faisait donc celui-ci dans une ferme de Touraine ?

Un cadeau de l’empereur ?

Difficile de répondre avec certitude à cette interrogation. Le miroir, dont la présence dans la cave suppose qu’il a été perdu, ou mis au rebut, n’était pas dans l’établissement par hasard. Il n’a pas circulé, n’est pas passé de main en main avant d’arriver ici. « Il est vraisemblable que le propriétaire se l’est fait remettre en tant que destinataire primaire. Certains spécialistes – pas tous – avancent même que Néron a pu distribuer ces objets en personne... » Avant de venir s’installer ici, cet individu a donc certainement fait une carrière pour l’Empire. Et chacun de penser à l’aventure d’Astérix, Le cadeau de César... Or, rien ne prouve que ce personnage ait été militaire. Aisé, d’un rang certain, mais lequel ? Mystère.

 

Crédit photos : Fouille Sadil/Inrap, cliché Dorothée Lusson

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