Culture

Nos entreprises ont du talent ! 3PA

Bien connue dans le monde de la médecine, l’anoxie est un terme qui désigne une privation d’oxygène. Loin de toute structure médicale, c’est en utilisant cette technique qu’Aurélie Fortin guérit les objets d’art les plus fous des petits indésirables qui s’y cachent ou les grignotent… Tuer les insectes en les privant d’oxygène : l’idée paraît toute simple, et pourtant, elle nécessite un savoir-faire complexe et exigeant. Rencontre avec une entomologiste passionnée, qui intervient au chevet du patrimoine culturel français.

Des insectes et des œuvres d’art

« J’ai découvert l’Anoxie au début des années 2000 alors que je travaillais à Paris. » explique Aurélie Fortin, ardennaise d’origine, « Le Musée du Quai Branly était l’un des premiers à recourir à cette technique, déjà beaucoup utilisée aux États-Unis. Elle n’existait pourtant là-bas que depuis une dizaine d’années seulement. Je n’y ai vu que des avantages et j’ai décidé de créer mon entreprise en Touraine, région où j’ai fait mes études d’entomologiste. » Depuis 2008, l’entreprise 3PA (pour Protection & Préservation du Patrimoine Culturel par Anoxie), basée à la Croix-en-Touraine, intervient auprès d’organismes publics (dans les monuments du Conseil Départemental d’Indre-et-Loire par exemple), d’établissements privés et parfois même chez des particuliers pour traiter des objets de toute sorte : œuvres d’art, meubles, tableaux, animaux naturalisés, documents d’archive et même… des vêtements de haute-couture !

Tous les types de matières sont soumis aux risques de dégradation liés à la présence d’insectes et autres nuisibles, parmi lesquels la mite des vêtements, la vrillette qui s’en prend au bois, le poisson d’argent qui grignote les livres ou encore le dermeste qui provoque des dégâts dans les collections d’histoire naturelle, en s’attaquant aux fourrures, aux plumes et au cuir. Aurélie n’intervient pas toujours « quand le mal est fait ». La plupart du temps, les objets subissent un traitement préventif, alors même qu’aucun signe d’insecte n’a été constaté. Pourtant, les œufs présents dans les meubles par exemple, peuvent rester de nombreuses années « endormis ». Un changement de température peut suffire à lancer leur développement. De même que la présence de visiteurs dans un musée suffit à « contaminer » toute une collection. Un cycle sans fin donc...

Un traitement écologique et économique

« Qu’est-ce que tu vas me faire comme cabane aujourd’hui ? » C’est par cette petite phrase que la responsable d’une prestigieuse maison de haute-couture accueille Aurélie à chacune de ces visites. Et pour cause ! Chaque intervention est différente et nécessite la construction d’une bulle sur-mesure autour des objets à traiter. Il existe deux types de traitement par anoxie : l’anoxie statique (adaptée à de petits volumes) consiste à fabriquer une bulle étanche autour d’un objet et y introduire des sachets de poudre de fer qui absorbent l’oxygène, tandis que l’anoxie dynamique (adaptée à de gros volumes) consiste à filtrer l’air ambiant pour récupérer l’azote qui le compose et l’injecter dans une bulle étanche ou une enceinte de traitement pour chasser l’oxygène qui s’y trouve.

« Le choix dépend de la configuration du lieu et du volume des objets à traiter » explique Aurélie. Jusqu’à l’apparition de cette technique, le traitement insecticide le plus commun consistait à badigeonner ou pulvériser les objets avec des gels phytosanitaires ou des gaz mortels. Aujourd’hui, le traitement par anoxie ne nécessite aucun produit chimique, ce qui limite les risques de tâches, de ternissement ou de décollement des matériaux… et aucun risque pour l’environnement. Autre avantage, non négligeable : le coût. Un traitement préventif reste plus économique qu’une restauration a posteriori, quand elle est d’ailleurs possible, et que l’objet n’a pas été abimé irrémédiablement.

Efficacité, discrétion… et adaptation !

Aujourd’hui, seulement 5 entreprises pratiquent l’anoxie dynamique en France. « C’est un métier qui n’existe pas vraiment et pour lequel il n’y a pas de formation. On apprend sur le tas. La mise en œuvre est parfois complexe et peut surprendre ». En témoigne l’impressionnante bulle de 28m de long installée en 2021 au Museum d’Histoire Naturelle d’Orléans pour traiter quelque 3000 animaux naturalisés. Un « Tetris géant » qui a nécessité l’intervention de tout le personnel ! « On ne sait pas toujours sur quoi on va tomber, même si on prépare notre venue avant. Un poteau gênant, un escalier en colimaçon (peu pratique quand on est chargé), une salle dans la pénombre… On doit souvent s’adapter et réagir en urgence. Le tout en restant discret… ».

Recevoir de prestigieux objets d’art dans son atelier, intervenir dans l’orgue d’une cathédrale ou dans les coulisses des plus beaux châteaux, c’est le quotidien d’Aurélie et de son mari Laurent, qui travaille à ses côtés depuis 2022. Un quotidien varié et passionnant dont ils ne se lassent pas et qui les conduit aux quatre coins de la France, parfois même au-delà des frontières de l’hexagone. Si l’anoxie est aujourd’hui l’activité majoritaire de l’entreprise 3PA, Aurélie Fortin propose également des suivis sanitaires et des formations dans le domaine de la conservation préventive. Grâce à son expertise, elle a obtenu le titre de Maître Artisan en juillet 2022, la plus haute distinction dans le domaine de l'artisanat. Une reconnaissance pour notre tourangelle d’adoption qui met depuis 15 ans son savoir-faire d’exception au service de la protection et de la préservation du patrimoine.

 

©️ photo : V. Liorit

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