Culture

Peur sur la Touraine

Plus meurtrière que celle du Gévaudan, la « Bête » qui a sévi autrefois en Touraine a semé la panique et inquiété jusqu’aux hommes du roi. Qui était ce monstre qui s’attaquait aux plus faibles ? Était-ce un loup, ou une autre forme animale ?

Les récits d’attaques de loups sont légion ; l’animal était fort présent autrefois en France, et s’il s’attaquait en premier lieu aux autres animaux, plus pacifiques, les « accidents », comprenez les violences sur des humains, étaient tout de même fréquents. Il est arrivé qu’un animal, plus féroce que ses congénères, commette un nombre impressionnant d’agressions mortelles, au point de s’inscrire durablement dans les frayeurs populaires. C’est le cas de la célèbre Bête du Gévaudan, qui perpétra 250 attaques, dont 130 fatales, avant d’être tuée en 1767. Mais qui se souvient de la Bête de Benais, pourtant plus meurtrière que celle de la Lozère, et qui l’a d’ailleurs précédée ? Et qui se rappelle sa semblable qui, cinquante ans plus tard, au milieu du XVIIIe siècle, ensanglanta une bonne partie de la Touraine ?

Panique en Touraine angevine

La « Bête », comme on surnommait au temps des rois le loup amateur de chair humaine, n’était pas seulement présente dans les contes, à une époque où Charles Perrault retranscrivait noir sur blanc la légende jusqu’alors orale du Petit chaperon rouge. Qui sait si l’auteur, en 1698, n’a pas été influencé par la Bête de Benais, lui qui connaissait la Touraine pour avoir logé au château d’Ussé sa Belle au bois dormant ? La Bête n’a rien à voir avec la Belle, mais tout avec le loup qui s’en prend au Chaperon après s’être régalé de sa grand-mère. C’est justement dans un décor idéal, si l’on peut dire, de forêts, de landes, de villages perdus et de fermes esseulées, que va sévir « notre » Bête, d’une hardiesse et d’une férocité rares...

Le 19 février 1693, Pierre Boireau, garçon de neuf ans originaire de Saint-Patrice, est découvert atrocement mutilé, à moitié dévoré. Mais cela arrive parfois, et personne n’y porte grande attention, hormis ses parents éplorés. Cinq jours plus tard, à Continvoir, c’est le corps d’une fillette de sept ans qui est retrouvé. Deux morts similaires, à quelques jours d’intervalle, dans la même région : est-ce un hasard ? Peut-être. Mais quand des attaques mortelles sont signalées aux Essards, à Restigné, Bourgueil, Courléon, le doute n’est plus permis : c’est bien une seule et même « bête » qui commet ces atrocités dans les landes et les bois de la Touraine angevine.

Mortelle randonnée

Rapidement, la rumeur enfle, se substitue à la thèse officielle : ce n’est pas un loup, affirme-t-on, mais un animal plus grand, plus sauvage, qui s’en prend aux faibles, aux femmes, aux enfants ! Le 25 juin 1693, l’intendant signale que les habitants ont tué trois loups – il s’agirait donc d’une bande.

Mais rien n’y fait, la mort attend les enfants, les bergères, les jeunes gardiens de troupeaux qui s’éloignent un peu trop de leur village et croisent le chemin de la créature infernale. Dans les registres paroissiaux, les curés, après avoir enterré, parfois, une jambe, un bras, une tête, notent le nom du coupable : « bête féroce », « bête carnassière », « mauvaise bête », qui sévit à Continvoir, Benais, Ingrandes, où une fillettes et son père succombent sous les crocs du monstre. Car celui-ci multiplie les attaques. Des battues sont organisées, des loups sont tués, mais pas les bons, apparemment, puisque le carnage se poursuit. En mars 1694, sept enfants sont croqués en huit jours !

Durant l’été 1694, on dénombre sept victimes supplémentaires, les dernières de celle que l’on appelle « la Bête de Benais ». Celle-ci a-t-elle été abattue ? S’est-elle déplacée ? Les renseignements nous manquent, mais nous savons que les environs de Tours seront le théâtre d’attaques du même genre au cours de l’été 1695... Moins nombreuse toutefois que dans le Bourgueillois et en Castelvalérie, où l’on recense 200 victimes en un an et demi, contre 130 en trois ans pour la Bête du Gévaudan.

Le retour de la Bête

Le cauchemar reprend un demi-siècle plus tard, de l’autre côté de notre province : après la Beauce, vaste décor de faits divers sanglants au début des années 1740, le péril se rapproche. Ce n’est plus la Bête de Benais, mais le mode opératoire est le même : un jeune garçon est avalé tout cru à La Croix-en-Touraine fin 1747, puis un autre à Amboise, et un autre encore... De nouveau, on organise des battues. De nouveau, dès le lendemain, une nouvelle proie expire...

Le 25 mai 1748, un détachement de la louveterie envoyé par Louis XV arrive à Amboise. Mais il échoue, lui aussi. Pourtant, peu à peu, le nombre de morts diminue dans les environs. Le fléau est-il éradiqué ? Que nenni, il est juste déplacé ! Autour d’Orbigny, de Céré-la-Ronde, la Bête commet huit crimes entre juillet 1748 et mai 1749. Rien n’y fait, ni les battues, ni la louveterie, ni les recettes à base de chiens empoisonnés. Pire, de nouvelles attaques ont lieu en Gâtine tourangelle, vers Villedômer, Nouzilly. À Monnaie, le monstre tue trois fois. Il tue aussi à Reugny, à Crotelles, toujours « des enfants du petit peuple des campagnes » (F. Gaultier). Toutefois, au bout d’un moment, le cruel animal recule. En 1753, il quitte la Touraine. Cet épisode se termine là. En douze ans, 200 personnes ont été tuées dans le Val de Loire et en Beauce. Elles ne seront pas les dernières victimes de loups dans la région...

 

À lire :

Marie-Rose Souty, « La Bête de la forêt de Benais », Bulletin de la société des amis du Vieux-Chinon, VII, 6, 1972

Bernard Briais, Bêtes en Touraine, éditions CLD

Frédéric Gaultier, La Bête du Val de Loire, 1742-1754, éditions Alan Sutton

J. Guérin, Notice historique sur Gizeux et les communes avoisinantes, 1872

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