Culture

Sa Majesté Chanteloup

Du « Versailles de Touraine », il ne reste que trois pavillons annexes, une pièce d’eau en demi-lune, et cette curieuse pagode qui s’élève jusqu’à 44 mètres de haut. Mais plus rien du palais de Choiseul, duc et pair de France, principal ministre de Louis XV, jusqu’à sa chute.

Avant de parler du monument, parlons de l’un de ses propriétaires. Car le premier est à la mesure du second, l’un des plus éminents personnages ayant évolué sous le règne de Louis XV : Choiseul. Jean-Christian Petitfils consacre même à notre Amboisien d’adoption un chapitre entier de sa biographie du souverain (Louis XV, Perrin, 2014). « À la différence des secrétaires d’État de Louis XV qui se succédèrent sans laisser la moindre trace dans l’Histoire, Etienne François de Stainville, duc de Choiseul, était loin d’être un médiocre », écrit l’historien.

De l’ascension à la chute

Choiseul embrassa d’abord la carrière militaire. Lorrain d’origine, mais ayant choisi de servir la France, il prit régulièrement du galon, de lieutenant à maréchal de camp. Du côté des affaires familiales et privées, il n’épousa pas un mauvais parti, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’il convola avec la petite-fille d’Antoine Crozat, le plus riche financier du royaume sous Louis XIV. Grâce à l’amitié de la Pompadour, il évolua vers la diplomatie, d’abord comme ambassadeur à Rome, puis à Vienne. Suite logique de cette ascension, il finit par entrer au Conseil, en tant que secrétaire d’État, assumant même la charge, sans en avoir le titre officiel, de Premier ministre, dès 1758. Cumulant les fonctions, il devint en outre, dès 1760, gouverneur de Touraine.

L’époque étant fertile en complots et cabales de toutes sortes, dans le contexte, qui plus est, de la querelle janséniste, Choiseul ne put se maintenir au sommet, surtout après la mort de Mme de Pompadour. Soupçonné de collusion avec des « libéraux » critiques à l’égard de la monarchie absolue, soupçonné en outre de discussions secrètes avec le roi d’Espagne en vue d’une guerre contre l’Angleterre, vers laquelle Louis XV refusait de s’engager, ayant le tort, enfin, de se gausser de la nouvelle favorite, Mme du Barry, Choiseul tomba en disgrâce le 24 décembre 1770 et fut exilé sur ses terres de Touraine, dans son château de Chanteloup-les-Vignes, sur les hauteurs d’Amboise.

Modèle de classicisme

Le château de Chanteloup ? Un « Versailles en Touraine » ! Avant même que notre homme n’en prît possession, l’endroit avait belle allure. Pierre Leveel décrit, dans La Touraine disparue (éditions CLD), une gouache de 1745 signée Chapuisat : « Une très belle demeure déjà terminée, reliée par des portiques à deux pavillons de l’est et de l’ouest, et tout le vallon aménagé en pente douce depuis le château vers la Tourafuture ″grille dorée″ au nord. »
Choiseul acquit le domaine en 1761. L’architecte Le Camus de Mézières transforma considérablement le monument principal : colonnades de part et d’autre du corps de logis central, réaménagement des ailes en retour vers le sud-est et le sud-ouest, des communs et de la ferme-modèle, à l’ouest. Les jardins alliaient, au centre, des parterres à la française à des boulingrins et à un jardin anglo-chinois. On imagine la splendeur des lieux, où Choiseul, bien que disgracié, continua de recevoir tout ce qui comptait dans le royaume, et même en Europe. Il mourut à près de 66 ans dans son château, en 1785.

Une « chinoiserie » en Touraine

De ce château et de ses dépendances, seuls subsistent de nos jours trois petits pavillons, ainsi que la célèbre Pagode de Chanteloup (propriété actuelle des descendants du célèbre paysagiste Edouard André), haute de 44 mètres, bâtie sur sept niveaux. Sept : un chiffre que l’on le retrouve à plusieurs reprises dans et autour de ce monument, et qui est en lien avec la philosophie taoïste dont l’architecte s’inspira pour dessiner la pagode, point de rencontre de sept avenues tracées dans la forêt. Temple de l’Amitié, construite entre 1775 et 1778, elle constituait, avec l’étendue d’eau en demi-lune qui s’y reflète encore de nos jours, un lieu de fêtes ; son sommet, lui, servait de belvédère de chasse.

Tour à tour propriété du duc de Penthièvre puis bien national (dès lors vidé de son mobilier), acheté en 1802 par Chaptal qui y mit au point la culture de la betterave, l’extraction et le raffinage du sucre, revendu par le savant, ruiné à cause de son fils, à des marchands de biens appelés « la bande noire » (un vrai nom de gang !), le château sera démantelé pierre par pierre dans les années 1820. Sauf la Pagode, rachetée en 1783 par le duc d’Orléans, futur Louis-Philippe...

 

pagode-chanteloup.com

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