Culture

Une céramique commune... peu commune !

C’est à un véritable jeu de puzzle que les archéologues du Département se sont livrés récemment pour reconstituer, en puisant dans un vivier constitué d’un millier de fragments de céramique, un superbe pichet de l’époque gallo-romaine.

À l’été 2021, les archéologues du Service de l'Archéologie du Département d'Indre-et-Loire (Sadil), en collaboration avec ceux de l’Institut national de Recherches archéologiques préventives (Inrap), ont mené des fouilles sur la Zac de Sublaines Bois-Gaulpied, près de Bléré : un site d’1,6 hectare qui leur a livré presque intégralement une ferme de l’époque gallo-romaine, plus précisément d’une période située entre 50 et 120 après J.-C. Il s’agissait de la propriété d’une famille assez aisée, comme en témoignent les nombreux fragments de vaisselle en verre, des indices de vaisselle métallique, des morceaux de poteries.

Parmi ces derniers, très nombreux – plus de mille fragments de céramique ! –, trouvés dans le puits profond de quinze mètres qui a servi de dépotoir après son abandon, certains ont été minutieusement recollés jusqu’à reconstituer une vingtaine d’objets, dont celui que nous présente Laureline Cinçon, archéologue au Sadil et céramologue – terme qui désigne un(e) spécialiste de la céramique, plus précisément, en ce qui concerne Laureline, de la période antique (50 avant J.-C. – 500 après J.-C.)

Une utilisation qui interpelle

« Lorsque l’on étudie une céramique, on distingue d’abord les différents types : céramique commune claire, commune sombre, fine (avec une décoration soignée), sigillée (décors en relief) ... Il s’agit ici d’une céramique commune claire recouverte d’un engobe blanc-beige. On a façonné le vase dans une pâte originelle brune-orangée avant de le tremper dans un liquide argileux pour en recouvrir toute la surface, à des fins esthétiques. » Un vase, donc, et plus précisément un pichet, voué à contenir du vin, de la bière, du lait, nanti d’une large ouverture. « En le comparant avec d’autres objets, on peut le dater de la première moitié du IIe siècle. » On remarque sur la surface des traces grises, voire très sombres : il a donc été exposé au feu, directement. Étonnant, car étant plutôt destiné au service, il n’aurait pas dû être à ce point chauffé. À moins qu’il n’ait servi de bouilloire...

Enquête et recoupements

Parfois, le métier d’archéologue se rapproche de celui de « détective de l’Histoire ». Car un tel objet regorge d’informations : « La céramique, élément datant, qui permet donc de dater les périodes d’occupation du site, pose plusieurs questions : de quel type s’agit-il ? Quelle forme a-t-elle ? Quelle est son origine ? Comment a-t-elle été fabriquée ? Quels décors ont-ils été appliqués ? Les réponses apportées donnent des indications sur ses fonctions, et donc sur les activités pratiquées sur le lieu de la découverte. » Par exemple, si l’on trouve au même endroit beaucoup de céramique fine, on en déduira le niveau de vie du propriétaire gallo-romain, plus encore si les céramiques sont importées, comme l’ont été d’autres objets trouvés sur le site de Bléré. Ce n’est toutefois pas le cas de celle-ci, fabriquée peut-être à Thésée et amenée par voie d’eau, le Cher en l’occurrence.

Le mystère Ateratus

Particularité de ce pichet, on observe, sur le haut de la panse, un graffito réalisé avec une pointe métallique au cours de son utilisation : ATERATUS. « Un nom probablement d’origine celtique – Ater signifiant ″père″ –, qui désignait le propriétaire du vase. » Ou de la ferme ? La question reste posée. On ignore aussi le nom du fabricant, d’une remarquable maîtrise – admirez cet arrondi parfait –, qui n’a pas apposé son poinçon, ni aucune marque distinctive. Un certain Modeste, peut-être...

 

Photo : Michaël Beigneux (CACIL – CD37)

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