Environnement

Le papillon qui se faisait passer pour une fourmi

C’est un petit papillon assez peu connu, dont le cycle de vie extraordinaire nous rappelle à quel point l’équilibre de la nature est fragile et mérite d’être préservé. À lui seul, l’Azuré des Mouillères a besoin de deux espèces-hôtes pour se développer : une jolie plante des marais et une nounou assez cocasse : la fourmi ! Tout à fait fascinante, cette espèce plutôt impertinente use d’un subterfuge peu commun qui lui assure le gîte et le couvert pendant toute une saison ! Rencontre avec un petit insecte pas tout à fait comme les autres, qui se fait malheureusement de plus en plus rare en Touraine.

Logé, nourri… et vite ressorti !

L’Azuré des Mouillères est un petit papillon de jour qui appartient au genre des Maculinea. Il ne mesure que quelques centimètres et vole de mi-mai à mi-août. Surnommé « le petit bleu des marais », il présente ce qu’on appelle un dimorphisme sexuel : si les ailes de la femelle sont brunes sur le dessus, celles du mâle en revanche sont bleues. Le dessous des ailes quant à lui est gris-brun, avec des petites taches noires cerclées de blanc. L’Azuré des Mouillères vit dans les milieux humides et s’alimente sur des plantes herbacées comme les trèfles.

C’est là que le comportement de notre petit papillon devient particulièrement captivant ! La femelle ne pond ses œufs que sur une seule espèce de plante : la Gentiane « pneumonanthe », dont la fleur est reconnaissable à son bleu profond. Quand l’œuf éclot, la chenille se nourrit du cœur de la fleur, avant de se laisser tomber sur le sol au bout d’une dizaine de jours. Là, elle va diffuser des phéromones identiques aux larves des fourmis du genre Myrmica. Le stratagème est en place ! Il lui suffit d’attendre qu’une ouvrière passe par là, la prenne pour une larve en détresse, et s’emploie à la ramener au chaud dans la fourmilière. Ainsi, logée et nourrie, notre petite chenille va passer tout l’hiver bien à l’abri.

Mais la protection fournie par nos valeureuses ouvrières n’est que de courte durée une fois la chenille transformée en papillon ! Lorsqu’il émerge de sa chrysalide, notre agent double perd ainsi sa couverture et ne diffuse plus de phéromones. Le voici donc à la merci des fourmis qui ont tant pris soin de lui pendant des mois. Il lui faut alors sortir au plus vite de la fourmilière, au risque d’être attaqué. Une fois dehors, l’Azuré des Mouillères qui ne vit que 5 à 15 jours va se mettre en quête d’un partenaire. La femelle n’aura plus qu’à déposer ses œufs sur les pétales bleutés de la Gentiane.

Une espèce menacée

Si vous avez la chance de croiser l’Azuré des Mouillères en Touraine, sachez que cette rencontre est malheureusement bien exceptionnelle. Vous l’aurez compris, ce papillon très sédentaire a besoin de conditions particulières pour accomplir son cycle biologique et notamment de la présence de ses deux espèces-hôtes. Or la Gentiane pneumonanthe, pourtant commune autrefois en Val de Loire, est menacée dans notre région par la diminution progressive des zones humides et des landes, due notamment à la mise en culture des parcelles dans les années 70. Très gourmandes en eau, les espèces qui y sont cultivées, comme le peuplier ou le maïs, assèchent les parcelles, entraînant la disparition de la Gentiane et par extension, celle du papillon.

Car notre petit bleu des marais est ce qu’on appelle une espèce « parapluie ». Préserver la sphère vitale dans laquelle il évolue participe à la sauvegarde d’autres espèces.

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Classé en « préoccupation mineure » sur la liste rouge des espèces menacées à l’échelle européenne, notre petit papillon est cependant en danger critique d’extinction en Région Centre-Val de Loire et fait même l’objet d’un plan national d’actions (PNA) qui vise à stopper sa disparition. Un plan d’action, décliné au niveau régional, auquel participe le Conseil Départemental d’Indre-et-Loire.

Comment sauver l’Azuré des Mouillères ?

En 2012, la découverte fortuite de deux petits papillons volant autour d’une Gentiane dans le « complexe du Changeon et de la Roumer », un site classé Nature 2000, relance l’espoir d’une installation durable de l’espèce en Touraine. Après 5 ans de recherches, 11 populations sont identifiées, notamment dans le nord-ouest du département. Depuis, les chiffres stagnent ou diminuent, mais aucune augmentation significative n’est observée.

Le comité de pilotage pour la déclinaison régionale du PNA Maculinea, qui regroupe des associations naturalistes, des fédérations de chasseurs, des chambres d’agriculture, des Parcs Naturels Régionaux et des collectivités, fait régulièrement le point sur la répartition de l’espèce. Des actions de conservation ont ainsi pu être proposées, notamment à destination des exploitants agricoles, afin de réorienter les périodes et les techniques de fauche vers une gestion plus respectueuse : reculer de 15 jours l’entretien d’une parcelle peut avoir un impact significatif sur la sauvegarde de l’Azuré des Mouillères. Autre action possible, qui relève directement des Départements, c’est la maîtrise du foncier.

Depuis les années 1980, le Conseil Départemental d’Indre-et-Loire met en œuvre une politique en faveur des espaces naturels sensibles (ENS). Un classement rendu possible par le biais de deux outils : la taxe d'aménagement qui permet de financer les actions liées aux ENS et le droit de préemption qui assure au Département la priorité d’acquisition dans le cas d’une vente de parcelle reconnue comme secteur d’intérêt écologique notable. Et pour être reconnu comme tel, il faut que cet espace soit représentatif du territoire ou qu’il présente un milieu ou une espèce rare ou menacée. Classer au titre des ENS les milieux humides dans lesquels évolue l’Azuré des Mouillères constitue donc une véritable opportunité dans la sauvegarde de l’espèce.

Des actions et une surveillance accrue qui, on l’espère, permettront encore longtemps à notre petit papillon pique-assiette de profiter de l’hospitalité des fourmis et de la Gentiane.

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