Votre grand-père a fondé la Nouvelle République, votre père était président du conseil de surveillance du journal, votre frère en préside le directoire, votre fils Benjamin est journaliste à BFM TV… Le journalisme, c’est de famille ?

Je ne sais pas si c’est encore une profession d’avenir par rapport à ce que j’ai pu faire : partir à l’étranger, faire des reportages en Chine, en Roumanie pendant la révolution, en Israël pendant la première guerre du Golfe… J’ai eu la chance de ne pas faire de « journalisme de chambre », alors qu’aujourd’hui avec les restrictions financières, les images qui arrivent de partout et les correspondants, on ne vit plus la même chose. Mais mon fils fait bien ce qu’il veut ! D’autant qu’il a entendu parler politique sans arrêt à la maison entre mon mari et moi ou ses grands-parents… Un peu comme moi enfant : on en parlait à table, et quand on déjeunait chez mes grands-parents, je voulais voir les variétés à la télé et on coupait pour mettre le journal. De ma chambre à Tours, j’entendais l’imprimerie de la NR. Mais je n’ai pas eu de vocation au berceau : j’ai toujours aimé la politique, mais je ne voulais pas en faire. Après un passage par un institut de sondage où je me suis ennuyée ferme, j’ai donc opté pour le journalisme, un des rares métiers où les jours ne se ressemblent pas.

Et la télé ?

Je suis allée là où on embauchait ! J’aurais aussi bien pu être dans la presse écrite ou à la radio. Je n’avais pas de passion particulière pour l’écran, d’ailleurs je suis arrivée à l’antenne assez tard, après avoir fait du reportage pendant dix ans, puis de la rédaction en chef lorsque mes enfants étaient jeunes. J’ai eu la chance de pouvoir capitaliser sur ce que j’avais déjà fait, car débuter à l’écran à quarante-cinq ans, ce n’est pas évident ! C’est une expérience de l’extrême ! Si vous regardez bien, il y a peu de femmes de mon âge à l’antenne, et on se prend vite des réflexions (« alors maman tu nous prépares quoi aujourd’hui ? », « comment va Vincent Auriol ? ») alors que des hommes vieux (et même laids !), il y en a des tas, et on ne leur dit rien. La représentation de la diversité se joue aussi sur l’âge.

Et quel est l’exercice qui vous plaît le plus ? Être en coulisses ou à l’écran ?

Les interviews : réfléchir à la meilleure façon de poser la question, pour obtenir le plus de choses. Et le direct ! J’en ai eu peur pendant des années, mais j’adore cette tension, liée au fait que tout peut arriver.

Et en pleine campagne électorale, quel défi doit relever la télévision selon vous ?

Intéresser les gens bien sûr. Il y a une lassitude, surtout après deux ans de covid, et nous avons un peu fait le tour des formats (des interviews par des journalistes, par des citoyens, par des abstentionnistes…). Des formats plus ludiques comme TPMP ou Twitch concurrencent aussi les émissions politiques. Mais cela va plus loin sans doute : les jeunes s’informent autrement, et il y a une défiance à la fois envers les politiques, et envers les journalistes.

Malgré tout la politique vous passionne encore ?

Même si je fais comme tous ceux qui vieillissent en disant « c’était mieux avant », j’aime toujours cela. La classe politique a évolué, on a moins de personnages hors-norme comme Marchais, Mitterrand, Pasqua, Giscard, Veil… Mais l’élection de Macron a été intéressante à suivre par exemple.

Ce que j’aime faire, c’est aller au-delà des apparences, c’est expliquer aux gens les enjeux d’un sujet, hors de la politique politicienne et des jeux de partis. Vendre des seringues en pharmacie, c’est du laxisme ou une décision de santé publique pour éviter les contaminations du Sida à l’époque ? Les salles de shoot ou la légalisation du cannabis, c’est du laisser-aller ou encore de la santé publique ? L’allongement du délai d’avortement à 14 semaines a-t-il du sens si on ne multiplie pas les centres médicaux pratiquant l’avortement et les sources d’informations pour les femmes ? Il n’y a pas de solution blanche ou noire, et j’aimerais qu’on puisse expliquer aux citoyens chaque sujet, en sortant des « y’a qu’à » un peu simplistes.

Mais le temps médiatique le permet-il ?

Je crois que c’est possible, et qu’en plus les gens en ont besoin et le demandent. Cela serait aussi l’occasion de montrer un autre aspect du travail politique : des députés travaillent sur des sujets variés, produisent des rapports parlementaires fouillés, sans parti pris idéologique, pour comprendre au mieux les enjeux de chaque question.

Tout cela vous laisse le temps de revenir en Touraine ?

J’y revenais assez souvent lorsque mes parents étaient encore là, et même lorsque je n’arrivais pas à venir à cause de ce travail qui du jour au lendemain pouvait me rappeler à Paris, on s’appelait souvent. J’ai grandi avec eux à Tours à l’époque où c’était une ville de province calme, aux tentations peu nombreuses : cela m’a permis de prendre le temps de lire, de vivre une adolescence classique, lycéenne à Balzac… Aujourd’hui la ville a changé, mais je prends toujours plaisir à y revenir ! J’y viens d’ailleurs le plus souvent possible pour voir mon frère Olivier bien sûr, avec qui j’échange quasiment tous les jours, pour fleurir la tombe de nos parents, pour passer du temps dans notre maison de Fondettes… Je suis toujours très attachée à cette Touraine où j’ai grandi et où j’ai encore ma famille.

Nathalie Saint-Cricq est présente chaque semaine sur France 2 dans « 20h22 » le mardi soir et « Elysée 2022 » le jeudi soir, jusqu’aux élections présidentielles.

Elle a également publié un livre autour de Georges Clémenceau : « Je vous aiderai à vivre, vous m’aiderez à mourir » (Ed. de l’Observatoire, 2021).